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Gratt' pap
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27 février 2005

César : l'est qui veut ?

ll y a des cérémonies guindées qui font plaisir. Les Césars hier par exemple. Même si ce parterre de comédiens aussi enjoués que pour un enterrement, de comédiennes portemanteaux de créateurs "tendance" qui s'amusent à les enserrer dans des déguisements improbables aussi pratiques qu'une ouverture facile de brique de lait, bref, malgré toute cette autocélébration un rien pathétique, eh bien je me suis réjouie d'un palmarès que j'osais à peine espérer mais qui s'est bel et bien concrétisé dans l'enceinte du Théâtre du Châtelet. "L'Esquive", ce film que j'ai eu l'occasion de voir tardivement (petite pub, c'était pendant le Festival Télérama, la place à 3 euros, une initiative peut être "boboïsante" mais qui mérite d'être saluée, au nom des étudiants à la bourse serrée), et j'ai eu un vrai coup de cœur.

Pourtant, le film ne tient aucunement de la perfection, certains comédiens - qui ne le sont pas d'ailleurs, exceptée Sara Forestier- laissent percevoir leur maladresse, les dialogues de djeunes dans des joutes de décibel peuvent parfois sembler excessifs voire frôler le mal de crâne, c'est vrai tout ça. Pas parfait, et justement, c'est ça qui est touchant, c'est ça qui en fait un film authentique et émouvant.

Bon, je vais pas jouer la mélodie du trémolo ou de la gauchiste militante pour un "film enfin sur la banlieue mais pas comme les autres", pas de ceux qui montrent le crack, la haine, pas des reportages TFien -si bien tournés en dérision par Djamel dans son dernier spectacle.

"L'Esquive" est avant tout un film d'ados, sur les ados d'aujourd'hui, et en vérité peu importe qu'ils viennent d'une cité, qu'ils soient blancs, black ou beurs, le vrai dénominatif commun, c'est le fait d'être adolescent en 2004. On est soudain très loin de la gentille "Boum" de Pinoteau, et pourtant, si proche. L'adolescence est toujours la même, ce sont les mêmes préoccupations, l'amour, les flirts, la timidité, les hésitations, les maladresses, la complicité, les bavardages entre filles, les discussions entre potes, les défis. Tout cela, toutes les générations l'ont connu, seulement chacune l'a vécu en fonction de son époque. Et être ado aujourd'hui, de surcroît dans des cités où la misère sociale est recluse, n'a rien d'évident.

Mais, voyez vous, cela on y réfléchit bien après le film, car "l'Esquive" montre des gens qui s'accommodent de cette condition injuste, qui se sont créés un monde à eux, un village en barre verticale décrépie où les habitants semblent vivre en autarcie, tout le monde se connaît, et pourtant l'ennui, la solitude est sous-jacente à maintes reprises. Juste suggérée, derrière quelques plans filmés avec uns sensibilité discrète mais non moins prégnante. Et là, on se félicite vraiment qu'Abdellatif Kechiche ait reçu un César, un homme qu'on sentait gêné d'être là, mal à l'aise et si honoré, une timidité sincère et touchante.

Il y a eu aussi le César de Sarah Forestier, heureuse et généreuse, partageant sa récompense avec tout ceux qui l'ont accompagnée sur le film. Derrière la verve insolente et malicieuse, l'assurance exagérée de son personnage Lydia, elle a su aussi incarner une jeune fille soudain déstabilisée par l'amour, fragile et incertaine après la déclaration que lui a faite Krimo à travers son rôle d'Arlequin dans une pièce qu'ils jouent ensemble.

Ce film qui rappelle le style documentaire, avec un coté un peu amateur et cependant si habile techniquement, peine à être résumé ou commenté avec justesse, tant l'atmosphère qui en ressort ne peut être appréhendée que par l'immersion directe dans le film. A la fois la banalité de la vie ordinaire dans une cité, et l'originalité d'un point de vue sensible sur la banlieue.

Pourquoi alors certaines critiques -de spectateurs, pour le coup- si véhémentes à son égard*, pourquoi seulement 300 000 entrées ? Sans doute y a-t-il pour certains, souvent les plus jeunes et les plus proches de ces ados, un réalisme qui renvoie à une vérité trop douloureuse qu'on préfère ignorer ou nier. Je rappellerais juste la leçon de la prof de français qui fait jouer à ses élèves la pièce de Marivaux "Le jeu de l'amour et du hasard", expliquant à Krimo inhibé et mal à l'aise en Arlequin- qu'il a voulu interpréter pour être avec Lydia-, que même derrière des artifices, on reste prisonnier de sa condition et que la mixité sociale serait finalement une belle illusion. Pas facile à entendre, et peut être pas entièrement vrai. Peu importe, chacun s'en fera une opinion, mais, au reproche récurrent sur le langage utilisé, certains spectateurs se plaignant de "dialogues incompréhensibles"* ( !), je citerai simplement le réalisateur :

"Je voulais démystifier cette agressivité verbale, et la faire apparaître dans sa dimension véritable de code de communication. Une sorte d'agressivité de façade qui cache bien souvent de la pudeur, et même parfois une véritable fragilité, plus qu'une violence à proprement parler ".

Ceux qui s'arrêtent au premier degré ou qui ne cherchent pas à pénétrer au plus profond des personnages, alors oui, ils n'ont pas compris le film, et ils ne l'ont pas aimé. Dommage, un peu d'ouverture d'esprit pourrait tellement apaiser notre vie au quotidien…

* Je fais ici référence aux commentaires recueillis sur un forum de discussion (Allocine.com)

 

"L'Esquive", d'Abdel Kechiche, avec Sarah Forestier (Lydia), Osman Elkharraz (Krimo), Sabrina Ouazani (Frida)… Sortie : 7 janvier 2004, 1h57.

 

L'Esquive en DVD :

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