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Gratt' pap
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1 juillet 2003

Psychologie sociale appliquée à la manipulation (1)

La psychologie sociale étudie l'homme dans ses généralités, dans ses caractéristiques communes et plus particulièrement dans son fonctionnement en groupe : ainsi, elle étudie la personne influencée par le groupe. A travers ce dossier, c'est de cette influence sociale que je souhaite traiter dans ce dossier, et plus particulièrement de la façon dont l'individu peut être objet de manipulation. En effet, dans de nombreux travaux de psychologie sociale, les chercheurs amènent leurs sujets à se comporter différemment que la façon dont ils se seraient comportés spontanément et ceci dans un sentiment de totale liberté : il s'agit de soumission librement consentie.

La question suivante se pose alors : comment peut-on amener quelqu'un à accepter une idée ou faire une action alors que spontanément tel n'est pas son penchant ? Ce principe d'obéissance s'inscrit dans un thème essentiel en psychologie sociale : le changement d'attitude. Afin de mieux saisir la complexité de cette problématique, revenons tout d'abord sur deux concepts fondamentaux : l'attitude et le comportement.

•L'attitude, en psychologie sociale, est une notion abstraite puisque non-observable directement, on dit qu'elle est latente. L'attitude est une orientation habituelle, une prédisposition à réagir dans une direction positive ou négative vis à vis de certains objets. Elle oriente nos conduites, nos buts, nos valeurs, nos jugements. Cependant, elle est plus ou moins stable et durable et subit des influences externes. On estime l'attitude par le biais de l'opinion (exprimée sur des échelles) ou du comportement.

•Le comportement, lui, au contraire, s'observe directement (dans la conduite de la personne, dans son langage, dans un questionnaire…). On peut donc schématiser le rapport entre attitude et comportement comme suit :

CAUSE  > EXPERIENCE/CONTRAINTE  > ATTITUDE   > COMPORTEMENT

Les psychologues sociaux ont toujours été fasciné par le changement d'attitude et se sont attachés à découvrir quels sont les mécanismes qui aboutissent au changement d'attitude. Outre la persuasion qui relève plus d'une stratégie cognitive, il existe aussi deux autres grandes dimensions dans le domaine du changement d'attitude : les émotions d'une part et le comportement d'autre part.

En effet, un premier courant théorique important s'appuie sur le pouvoir des émotions pour rendre compte des changements d'attitude. La publicité et autres messages persuasifs font fréquemment appel aux sentiments, que ce soit par l'humour, le choc et la violence etc…

I- LA DIMENSION EMOTIONELLE

- Un premier processus psychologique consiste à effectuer une association répétée entre un stimulus neutre et un autre, positif ou négatif, afin de créer une réponse favorable ou défavorable à l'égard du stimulus neutre. Il s'agit du conditionnement classique. On parle aussi de perception subliminale, lorsque l'on associe au stimulus neutre des images positives ou négatives pendant une durée très courte (9 ms) qui ne permet pas au sujet d'avoir une perception consciente de l'image projetée.

- Une autre théorie soutenue par ZAJONC (1968), dite théorie de la simple exposition, prétend modifier les attitudes des gens en leur présentant un même stimulus à plusieurs reprises. BORNSTEIN (1989) ajoute même que ce procédé est d'autant plus efficace que la présentation répétée du stimulus est non consciente.

- D'autre part, le changement d'attitude est fortement lié à l'humeur. En effet, l'humeur influence la mobilisation des ressources cognitives, c'est à dire que l'humeur positive incite les gens à un traitement superficiel du message tandis que l'humeur négative ou neutre favorise un examen approfondi des arguments, ce qui rend l'exercice de persuasion plus délicat.

- De même, l'utilisation de la peur peut aussi servir à convaincre, mais uniquement si le message effrayant convainc les gens de l'efficacité des solutions proposées. En effet, si la peur permet d'attirer l'attention, elle peut susciter des réponses d'évitement ou de déni : il faut donc y associer des conseils précis sur des stratégies de modification du comportement (dans les campagnes anti-tabac..).

II- DIMENSION COMPORTEMENTALE
1/ Théorie de la dissonance cognitive

Pour les psychologues sociaux, une des causes du changement d'attitude est l'exposition à une nouvelle information. D'après la théorie de la dissonance cognitive de FESTINGER (1957), cette nouvelle information si elle n'est pas cohérente avec le système d'attitude va créer une tension (dissonance), suivie d'une réaction d'adaptation (consonance).

Les concepts de la consonance et de la dissonance datent de la fin des années 50, au moment où la psychologie sociale a tenté de mieux comprendre la formation et les modifications des attitudes ainsi que le rapport existant entre attitudes et comportement. A la base, il y avait l'idée selon laquelle les gens recherchent la cohérence de leurs attitudes et celle des rapports entre leurs attitudes et leurs comportements. Lorsqu'il y a incohérence (dissonance), il devrait également exister une pression au changement.

L'exemple le plus flagrant est celui du fumeur, proposé par FESTINGER et ARONSON (dans Eveil et réduction de la dissonance dans des contextes sociaux ) :

« Examinons la façon dont on peut réduire la dissonance, et pour cela prenons le cas du fumeur de cigarettes qui sait que le tabac nuit à sa santé. Il y a dissonance entre ce savoir et la cognition qu'il continue à fumer. Si l'hypothèse selon laquelle il existerait des pressions destinées à réduire cette dissonance est correcte, que pourrions nous attendre de cette personne ?

1) Elle pourrait tout simplement modifier la cognition relative à son comportement, c'est à dire qu'elle pourrait arrêter de fumer. Si elle ne fume plus, alors la cognition relative à ce qu'elle fait sera cohérente vis-à-vis du fait qu'elle sait que le tabac nuit à sa santé. 2) Elle pourrait, d'autre part, modifier son savoir relatif aux effets du tabac. C'est une façon un peu particulière de présenter les choses, mais elle exprime bien ce qui doit se passer : la personne peut finir par croire que le tabac n'a pas d'effets néfastes, ou bien, elle peut encore acquérir tellement de « savoir » qui insiste sur les effets positifs du tabac que les effets négatifs en deviennent négligeables.

Si la personne est capable de modifier son savoir d'une de ces deux façons, elle aura réduit (ou même éliminé) la dissonance qui existait entre ce qu'elle faisait et ce qu'elle savait.

Afin de vérifier cette hypothèse, un questionnaire a été proposé par SPELMAN et LEY à des fumeurs et des non-fumeurs sur les causes, les symptômes, le traitement et le pronostic de dix maladies, dont le cancer du poumon. Les fumeurs sous-estimaient le pronostic négatif relatif à cette maladie : 60 % des non-fumeurs donnaient un pronostic correct, contre 35 % des fumeurs. Il semble donc raisonnable de penser que les fumeurs réduisent la dissonance par leur acceptation modérée des preuves associant tabac et certaines maladies. Au niveau de l'information, les fumeurs privilégient l'information niant le lien tabac-cancer plutôt que l'information qui en fait état.

Une autre façon de résoudre cet illogisme entre croyances et comportement est de nier que ce comportement soit adopté en toute liberté. Selon BEJEROT et BEJEOT (1978), « la tabacomanie est une manie, on ne contrôle pas la manie, le maniaque est déchargé de sa responsabilité ». Dans cette idée de manie au sens psychiatrique du terme, il est exact de dire qu'un conditionnement maniaque peut faire son apparition au cours d'expériences agréables autres que les drogues, par exemple les jeux d'argent, la kleptomanie, l'anorexie ect…

Ce sentiment de non-responsabilité est une des causes majeures de difficulté à l'arrêt du tabac. En effet, la tendance à cataloguer la cigarette dans les drogues peut se révéler néfaste pour les fumeurs : tout d'abord parce que l'on risque, très inconsciemment, de décourager le fumeur dans sa démarche (énormité de la tâche, peu de chances de succès). Le fumeur va peut-être trouver profitable de se cantonner dans le rôle de drogué. D'autre part, l'accent mis sur le caractère maniaque de la consommation de tabac peut avoir une autre conséquence : pointer les symptômes de manque (inévitables et graves), alors que ce n'est pas systématiquement le cas. Certaines personnes suggestibles rechercheront les symptômes ou grossiront ceux qu'ils trouvent.

2/ Théorie de l'engagement

Changer d'attitude, changer de comportement semble se produire lorsque les individus s'engagent dans leur choix. Le théorie de l'engagement est aussi une théorie de rationalisation, c'est à dire concernée par les conséquences idéologiques de la réalisation d'une conduite. L'engagement est défini par KIESLER (1971) comme « la promesse faite à soi-même dans le cours de l'action ». L'auteur s'intéresse aux conditions dans lesquelles se déroulent la conduite. C'est l'acte qui s'avère engageant et permet l'engagement du sujet. « L'engagement peut être pris comme signifiant le lien d'un individu à ses actes comportementaux. »

La théorie de l'engagement se présente sous la forme de quatre postulats : 

- Postulat 1 : l'individu tente de diminuer la dissonance entre ses actes et ses attitudes. C'est le postulat de la dissonance. 

- Postulat 2 : l'engagement est un facteur de résistance au changement. C'est l'effet qu'il a donné au niveau des conduites ainsi qu'au niveau cognitif. D'où deux hypothèses : si un acte est inconsistant par rapport aux croyances et valeurs, alors le sujet tendra à modifier son système de croyance pour l'ajuster avec ses actes ; si un acte est consistant avec le système de croyance et de valeurs, alors la personne sera plus résistante aux changements de valeurs.

- Postulat 3 : il y a une relation entre le degré d'engagement dans l'acte et le degré des effets attendus de cet acte, c'est à dire que plus grand sera l'engagement dans le comportement, plus grand sera le changement d'attitude.

- Postulat 4 : l'engagement peut prendre cinq formes différentes : * libre choix du sujet : le sujet a le sentiment d'être libre dans la réalisation de l'acte. * caractère explicite de l'acte : l'acte est public ou privé, il a une signification immédiate ou ambiguë. * caractère plus ou moins irrévocable de l'acte : est-il définitif ou immuable ? * nombre d'actes réalisés : répétition d'un même comportement ou bien comportements distincts dans leur réalisation. * importance de l'acte pour le sujet : il s'agit ici de l'auto engagement, le sujet s'engageant d'autant plus dans l'acte que celui-ci répond à ses besoins, une idéologie.

3/ La soumission librement consentie

Parfois incluse dans la théorie de l'engagement, il s'agit de procédures d'origines nord-américaines que JOULE et BEAUVOIS ont regroupées dans un paradigme de base intitulé « soumission librement consentie ». Cette expression se justifie par le fait que le changement comportemental escompté n'est pas obtenu autoritairement, ni même par le biais de quelque stratégie persuasive, mais dans un contexte de liberté, le sujet arrivant à décider de faire ce qu'il n'aurait pas fait spontanément : par exemple, rendre service à quelqu'un dans l'embarras, défendre une bonne cause, donner de l'argent à une association ect…Ce n'est donc pas parce que le comportement en jeu est contraire aux convictions ou aux motivations du sujet qu'il se montre peu enclin à l'émettre mais c'est plutôt parce que son coût est tel qu'il préfère ordinairement s'en dispenser . Aussi ces procédures semblent utiles à quiconque souhaite aider autrui à modifier ses comportements et en particulier aux pédagogues et aux médecins. Dans le traitement des phobies par exemple, le recours aux procédures de soumission librement consentie permet d'aider le patient à affronter les situations redoutées.

Trois grandes techniques ont été recensées.

1)L'amorçage (développé par CIALDINI, 1978) : cela consiste à amener le sujet à prendre une première décision en lui cachant son coût réel ou en mettant en avant ses avantages fictifs. Sa décision prise, on lui délivre l'information totale où on lui fait savoir que les avantages qu'il escomptait ne pourront lui être consentis, ce qui a pour effet de rendre cette décision plus coûteuse et moins intéressante que prévu. On lui laisse alors la possibilité de revenir sur sa décision. Le phénomène d'amorçage traduit la tendance qu'a le sujet à néanmoins maintenir sa décision initiale.

2)Le pied dans la porte : (développé par FREEDMAN et FRASER, 1966) : cela consiste à amener le sujet à réaliser un premier comportement peu coûteux avant de lui demander de réaliser le comportement coûteux qu'on attend de lui. Ainsi, l'acceptation d'une requête peu coûteuse, dans un premier temps, augmente-elle la probabilité d'acceptation d'une requête plus coûteuse dans un second temps.

3)La porte au nez : (développé par CIALDINI, 1975) : cela repose sur le principe inverse de celui du pied dans la porte, puisqu'on commence par formuler une requête trop importante pour pouvoir être acceptée avant de formuler celle qui porte sur le comportement attendu, une requête évidemment moins importante.

En définitive, l'efficacité de ces trois procédures de soumission librement consentie passe par l'obtention d'un premier comportement (acceptation ou refus) qui a pour effet de rendre plus probable l'émission d'un comportement ultérieur allant dans le même sens.

Passons maintenant, après cette petite mise au point théorique, à l'ouvrage de deux chercheurs en psychologie sociale, Robert-Vincent Joule, professeur d'université à Aix-en-Provence, et Jean-Léon Beauvois, professeur à l'université de Nice. Cette ouvrage qui a été l'objet d'un véritable engouement à sa parution s'intitule Petit Traité de Manipulation à l'usage des honnêtes gens.

Par l'analyse de ce livre, les principales techniques de manipulation ainsi que leurs ressorts psychologiques et leurs applications concrètes vont nous être plus clairement dévoilés.

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